Dans
un éditorial du Monde Diplomatique intitulé "Désarmer les marchés",
Ignacio Ramonet propose de créer une Organisation Non Gouvernementale
dénommée "Action pour une Taxe Tobin d'Aide aux Citoyens", laquelle
voit le jour en juin 1998 :
Il est donc question d'appliquer la taxe, inventée par le célèbre économiste
James Tobin, qui vise à imposer les transactions monétaires (opérations
de change d'une monnaie à une autre) à un taux très faible (de 0,05% à
0,25%).
Pourquoi ? Les partisans d'ATTAC affirment vouloir "mettre un grain
de sable" dans les rouages de la spéculation. La somme collectée par cet
"impôt mondial de solidarité" serait utilisée en faveur des plus pauvres
de la planète. "Il s'agit tout simplement de se réapproprier ensemble
l'avenir de notre monde" clament prophétiquement ces combattant de
la démocratie ! Qu'en est-il vraiment ?
Aujourd'hui
l'ONG ATTAC dispose de nombreux relais internationaux.
En France cette association très médiatique s'est constituée autour d'un
étrange consensus politique.
Parrainée
par un jésuite, Henri Madelin, un banquier, Jean Deflassieux, ATTAC voit
son conseil d'administration attribué à des personnes morales telles que
Charlie Hebdo, Témoignage Chrétien, AC !, Confédération paysanne, Droit
devant !, la fédération des banques CFDT.
Les fervents supporters de la taxe Tobin regroupent des organisations
comme SUD-PTT, FGTE-CFDT, des membres de la CNT (rue Vignoles),
mais sont aussi présents au sein des institutions. Ainsi, au Parlement
européen, le groupe ATTAC, composé de plus de 40 députés, unit des prétendus
révolutionnaires comme Alain Krivine avec Daniel Cohn Bendit,
des socialistes et des staliniens.
A l'assemblée nationale, les pro-taxe Tobin ont ratissé encore plus large
puisqu'au côté de la centaine de députés "gauche plurielle" que compte
le groupe ATTAC, on trouve un député UDF. Rien d'étonnant quand
on sait qu'un des dirigeants du RPR, Philippe Seguin, appuie l'idée
d'une taxe sur les mouvements de capitaux internationaux.
Qu'est-ce
donc cette taxe, présentée par les médias comme le fer de lance de la
lutte contre la mondialisation de l'économie, qui en réalité satisfait
les exploiteurs ?
Opérons un calcul très simple : Sur 5 millions de francs issus de la spéculation,
on ponctionne un montant équivalent à 0,05% de cette somme. Résultat :
le riche actionnaire contraint d'aider les plus pauvres verserait. 2500
francs ! Rien d'effrayant pour les financiers de Wall Street, Tokyo ou
Paris. Qui dans ces conditions peut sérieusement parler d'un impôt pour
qualifier la taxe Tobin ?
Rien en effet de comparable entre ce prélèvement de 0,05% à 0,25%
qui effleurerait les caisses de la haute bourgeoisie et la TVA, par exemple,
dont le taux variant de 10 à 15% frappe injustement les riches comme les
pauvres. Derrière les grands discours, on note aisément ce qui se trame
: la signification sociale de cette fameuse taxe tient de la charité,
ni plus, ni moins.
On comprend mieux pourquoi revendiquer l'application de la taxe Tobin
ne dérange personne. A présent voyons les raisons pour lesquelles
cela arrange l'ensemble de la classe politique et plus largement les tenants
du système capitaliste.
En
matière d'analyse politique, il est toujours intéressant de s'arrêter
sur les dates. Celles de l'éditorial d'Ignacio Ramonet et de la naissance
d'ATTAC confirment la règle.
Nous sommes en décembre 1997, l'appel est lancé pour "Désarmer
les marchés", le monde vient d'être ébranlé par l'une des crises financières
les plus dévastatrices depuis longtemps.
L'imminence d'un énorme crack boursier mondial est prise au sérieux
par de nombreux économistes. L'idée est donc d'éviter l'effondrement
des places boursières en instituant un contrôle minimum des flux de capitaux.
Une idée déjà appliquée par certains pays.
Bernard Cassen, président d'ATTAC, nous montre de quoi il s'agit dans
son article "Vive la Taxe Tobin" : "En vérité, il existe toute une
panoplie d'actions possibles pour combattre l'entrée des capitaux purement
spéculatifs qui, lorsqu'ils se retirent brutalement, comme en Asie orientale
en 1997, provoquent l'effondrement du taux de change. Notamment, comme
cela a été expérimenté au Chili à partir de juin 1991,."
Le Chili, démocratie érigée sur les bases de la dictature de Pinochet,
exemple d'ultra libéralisme, voilà le modèle des partisans de la taxe
Tobin !
Aussi, rien de surprenant que James Tobin, lui-même très libéral,
ait déclaré : "Le fait que l'on assimile mon système de taxation des
opérations de change à une réforme de gauche reste pour moi une énigme."
Mais
ce qu'il y a de plus pernicieux en la matière n'est pas l'application
même de la taxe Tobin (d'ailleurs, l'Assemblée nationale comme le Parlement
européen ont voté le rejet de la mise en ouvre d'une telle mesure), c'est
bien le rôle d'avant garde qu'occupe ATTAC et ses sympathisants dans la
campagne internationale de désinformation visant à parasiter la lutte
des classes.
Substituer le terme "prolétariat" par la notion vague et consensuel de
"citoyen" : tout un programme ! Il faut "humaniser la mondialisation",
le mot d'ordre est lancé tant par José Bové que par Bill Clinton
!
A l'heure où les députés partisans d'ATTAC (entre autres) ont voté, en
France, la loi des 35H pour instaurer la précarité et la déréglementation
généralisées, la loi permettant le rétablissement du travail de nuit des
femmes dans l'industrie, la légalisation du travail des enfants dès l'âge
de 13 ans, à l'heure où les intérêts vitaux du prolétariat (santé, éducation,
moyens de subsistance, rythmes de vie) sont ciblés par l'offensive mondiale
du Capital, la canalisation de la colère de la classe ouvrière est
nécessaire pour éviter qu'elle ne s'insurge.
Le
Fond Monétaire International, qui dicte les politiques des Etats du monde
entier, constate cette nécessité quand il affirme dans son rapport
n°99/127 sur la France :
"La préférence des autorités pour la prudence dans l'élaboration de
leur politique est compréhensible quant à leur désir d'éviter toutes
tensions sociales qui résulteraient d'une attaque frontale contre
des intérêts retranchés. Mais l'ajustement nécessaire ne peut être retardé
indéfiniment".
Christophe Aguiton (à la fois porte parole d'ATTAC, membre de SUD
et de la LCR) semble habité de préoccupations similaires : "Nous
commençons à agir ensemble. Ce qui est le plus compliqué, c'est
la classe ouvrière, les syndicats, et ce sera plus long." a-t-il déclaré
lors des rencontres internationales "pour une construction citoyenne
du monde" à Paris les 30 novembre, 1er et 2 décembre 2000.
Et
qu'on se le répète, ce "monde citoyen" se fera gentiment avec toutes
les institutions qui appliquent aujourd'hui les politiques de destruction
de la civilisation partout dans le monde.
Paul Boccara, économiste du PCF nous explique : "Il
ne faut pas s'engager dans la marginalisation d'un refus sans perspectives,
mais maîtriser et dépasser le marché de l'argent. Aller
vers des monnaies communes zonales, comme l'euro, la Taxe Tobin (bien
qu'elle soit insuffisante). Une monnaie commune mondiale pourrait être
créée à partir des droits de tirage spéciaux du FMI, au lieu de
la monnaie commune de fait actuelle, imposée qu'est le dollar. Pour cela,
faire appel aux travailleurs, aux citoyens, pour qu'ils agissent
aux côtés des organisations de la démocratie parlementaire".
C'est
dans ces circonstances qu'on peut observer, depuis plusieurs mois, l'orchestration
de manipulations politiques d'ampleur internationale.
A l'appel du PC, parti gouvernemental, pour participer le 16 octobre 1999
à une manifestation supposée contestataire, la LCR, LO, AC ! et bien d'autres,
avaient répondu présents pour montrer que le "mouvement social" milite
non pas pour la guerre de classes mais pour la paix sociale.
Le 27 novembre
de la même année, ATTAC et ses affinitaires invitaient à descendre dans
la rue pour exiger un "contrôle citoyen de l'OMC" alors que Bill
Clinton avait préalablement à la réunion de Seattle invité des associations
et syndicalistes pour prendre part avec les patrons à la "régulation
de l'économie mondiale".
Un an après, les
"anti-mondialisation", réunis à Nice pour une "Europe sociale", prétendent
que le sommet de Seattle fut un échec pour le libéralisme et donc une
victoire pour les "citoyens".

Ils restent bizarrement muets quant au fait que le contre-sommet
des organisations non gouvernementales prévu à Seattle était financé et
organisé par les grandes entreprises et les multinationales elles-mêmes
organisatrices du sommet de Seattle.
Ils oublient aussi de dire que Seattle a permis la signature de l'accord
Chine/Etats-Unis dans le cadre de l'OMC dont la conséquence va être l'aggravation
des conditions de sur-exploitation des ouvriers chinois.
Ils n'évoquent pas non plus le traité de libre commerce d'Amérique
du Nord que Seattle a permis d'étendre à toute l'Amérique du Sud.
Enfin pourquoi ne parlent-ils pas du plan Colombie, par lequel l'armée
américaine prétend intervenir militairement dans six pays d'Amérique latine
?
Alors,
comment ne pas répondre par l'indignation et la révolte à l'appel
de cette "extrême gauche plurielle" pour participer au forum social mondial
de Porto Alegre (Brésil), convoqué du 25 au 30 janvier 2001, quand ce
même forum est officiellement soutenu par. la Banque Mondiale ?
Tu te poses des questions
? Pas de problèmes !
La Confédération Européenne des Syndicats, les ONG, les associations citoyennes
et les partis politiques te donnent les réponses.
Le flicage cérébral,
c'est aussi cela la "real politic".

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