Une
jeunesse défavorisée dont l'unique rêve se confond avec le soucis de maximiser
sa consommation des marchandises, dans un monde où la marchandise règne
despotiquement, n'est pas une jeunesse condamnée. Elle est juste sans
présent.
La critique radicale de la réalité mortifère du système spectaculaire-suicidaire-marchand
ne peut être qu'historique et révolutionnaire.
L'impertinence de l'analyse sociologique de la société et des troubles
que celle-ci rencontre tient dans le fait que la sociologie est déjà une
interprétation structuraliste et donc policière de la réalité propre à
l'époque de la paralysie du développement historique total.
La
relative violence de jeunes "issus de quartiers difficiles" (pour
employer les mots du spectacle) qui pimente chaque jour le dégueulis
des médias n'est ni la conséquence d'une "perte de repères", ni la
résultante de "difficultés à s'intégrer", ni "inhérente au chômage de
masse qui touche plus encore les habitants des cités", ni le produit "de
trop de violence à la télé", encore moins le signe d'un phénomène jusque
là inconnu de généralisation de la perversion du genre humain.
Cette violence ne peut être appréhendée en dehors du processus capitaliste
de négation de l'individu et de la collectivité libres. Elle est l'aboutissement
du processus de séparation généralisée.
L'époque
que nous subissons quotidiennement a cela de fondamentalement tragique
qu'elle n'est plus que le témoin de la survie prolongée s'auto-contemplant,
où les opprimés sont à ce point infectés par l'idéologie marchande qu'ils
ne font rien d'autre que réclamer la dégradation de leur condition.
Il
est donc très facile aujourd'hui de tirer directement du réel de multiples
portraits de cette humanité qui mute à l'envers (de la conscience émancipatrice
vers la bestialité artificielle) ; une société dont l'essence est la vulgarisation
du mode de survie spectaculaire ne peut que se conforter dans la saturation
des hurlements de la médiocrité.
Rappelez-vous
: Combien étaient-ils, ces partisans de l'isolement festif,
ces
infirmes de l'imagination, ces impuissants sociaux, à sortir sur l'espace
public pour serrer dans leur bras, des sanglots plein la gorge, une foule
solitaire venue déifier des hommes filmés jouant au ballon ? Des centaines
de milliers, des millions ?
L'Histoire se souviendra qu'en ces temps de folie sociale, les exploités
avaient réussi à former une masse assez nombreuse dans la rue pour emporter
le Pouvoir mais qu'il ne s'agissait finalement que de glorifier la première
place d'une équipe de football à une compétition internationale.
Les
enterrements sont, pour la fausse conscience, des fêtes.
La
boucle est bouclée, plus rien ne viendra menacer la Bourgeoisie.
La classe du suicide global a réussi à évincer pour très longtemps son
ennemi historique fondamental : le Prolétariat.
Militairement, les chances sont quasiment nulles de voir dans un futur
proche les masses triompher sur les forces de défense du Capitalisme.
Il suffit de constater l'extraordinaire niveau de surveillance atteint
par les structures de domination pour se convaincre qu'il est désormais
presque impossible d'organiser et de réussir une insurrection armée. Mais
la difficulté majeure pour ceux qui tentent de résister à l'asservissement
marchand réside dans l'abrutissement général de la masse.
C'est
bien dans les têtes, sur le front de la pensée, que le système de la séparation
a remporté ses plus éclatantes victoires.
Il y a seulement 30 ans, l'armée était en état d'alerte autour de Paris
pour aller réprimer l'élan séditieux de toute une fraction de la jeunesse,
étudiants, ouvriers et "voyous", que le dégoût d'être exclue de la vie
avait poussés à la rébellion.
Aujourd'hui, la violence des jeunes traduit la misère matérielle, psychologique
et intellectuelle dans laquelle ils sont tombés. On est bien loin de la
puissance révolutionnaire quand on joue le caïd dans son quartier
ou qu'on viole une meuf. La prétendue redoutabilité des "racailles" masque
leur extrême fragilité face à une société qui leur a donné un rôle social
qu'ils acceptent sans broncher.
Le
mal n'est, bien sûr, pas venu par les hasards de l'Histoire.
Et si la catégorie de population la plus dangereuse hier est la même qui
aujourd'hui souffre en silence, voire en acquiesçant, c'est parce que
l'apprentissage de la soumission s'est effectué par la force.
Dès le milieu des années 70, la décomposition sociale dans les quartiers
populaires est devenue, pour les Etats occidentaux, un objectif à atteindre.
A présent, la situation dans nombre de pays industrialisés est acquise.
Les anciens militants radicaux noirs aux U.S.A. pourraient en parler.
Face
à la montée en puissance de forces révolutionnaires dans les ghettos des
grandes villes nord-américaines, au sortir de la Seconde Guerre mondiale,
les
services de sécurité américains ont
élaboré de nouvelles stratégies de défense intérieure.
On
se souvient comment les émeutes de Watts de 1965 et toutes celles qui
suivirent (Harlem, Roxbury, Newark, Detroit, Filmore Avenue à San Francisco,
Oakland. etc) furent réprimées dans le sang.
Les Black Panthers, par ailleurs, furent désorganisés par des manipulations
du FBI.
Quant à MOVE, groupe alternatif noir, fondé en 68, il fut anéanti par
une bombe incendiaire lâchée d'un hélicoptère du FBI sur l'immeuble qui
l'abritait le 13 mai 1985.
C'est
avec le choc de la révolution sandiniste au Nicaragua, en 1979, que les
services secrets américains vont systématiser des techniques de contrôle
social dans les quartiers pauvres des mégapoles américaines, en généralisant
le buisiness de la drogue.
En 1981, Ronald Reagan décide de soutenir la Fuerza Democratica Nicaraguense,
guerilla anticommuniste, pour s'opposer au gouvernement de Managua..
.
Cette
armée de mercenaires, mieux connue sous le nom de CONTRA, ne se contente
pas des crédits que lui accorde le président des Etats-Unis de l'époque,
elle cherche des sources de financement parallèles.
Employés par la CIA, les Contras organisent d'abord un trafic de cocaïne
à Los Angeles par l'intermédiaire de Rick Ross, un jeune afro-américain
de South Central dont les principaux clients sont, entre 1981 et 1986,
de nombreux gangs de Los Angeles, parmi lesquels les Bloods et les Crips,
célèbres pour avoir été mis en scène dans les films Colors et Boyz in
the Hood.
Mais
la Coke, trop chère, ne se vend que par petits stocks, trop peu nombreux
pour obtenir le pognon nécessaire à l'équipement d'une armée contre-insurrectionnelle.
C'est alors que surgit l'idée de transformer la cocaïne en crack par un
procédé chimique très simple permettant d'une part d'augmenter la quantité,
d'autre part de surmultiplier les effets d'une substance faite sur mesure
pour susciter la dépendance. Il devint ainsi possible de vendre de petites
doses, à bas prix, dont l'effet était spectaculairement plus fort.
Le
succès fut foudroyant, à travers Ross, les Contras pouvaient vendre
jusqu'à 2 ou 3 millions de dollars par jour. Bientôt l'épidémie de cette
drogue dévastatrice allait gagner tous les ghettos des grandes villes
des Etats-Unis. Les populations y habitant n'allaient plus réfléchir et
s'organiser autour des causes de lutte sociale mais sombrer dans le cycle
infernal de la violence, de la dépendance, de la prison et de la mort.
Le spectacle du "gangsta rap", du pèze à porter de main, des
mafias sous-prolétariennes, pouvait dès lors s'épanouir sur ce fumier,
avec la bénédiction de la Bourgeoisie nord-américaine.
En
France, malgré le tapage médiatique et,
pendant des années, la protection de la
police du marché embryonnaire dans le 18ème arrondissement de Paris, le
deal du crack n'a pas pris.
La raison, évidente, est à chercher du côté des intérêts des services
spéciaux français qui n'ont rien à voir avec la cocaïne, sous monopole
américain, mais qui résident plutôt au Maroc ou en Birmanie, les pays
du haschich et de l'héroïne.
De
nombreux documents et témoignages soupçonnent Pasqua et Chirac d'être
à la tête, depuis des années, du plus gros trafic international de ces
2 stupéfiants. La France fournirait 90% de l'héroïne aux Etats-Unis.
C'est
ainsi que des zones servent, sur le territoire français, de point de réception
et de diffusion d'héro et de shit nécessairement libre de toute présence
policière efficace pour éradiquer le trafic qui s'y déroule. Qui ne se
souvient pas des dealers en grosses bagnoles qui écoulaient impunément,
aux vues et aux sus des pouvoirs publics, leur infâme camelote dans les
cités, au début des années 80 ?
A
la même époque SOS RACISME naissait, association dont l'unique fonction
politique est de maquiller les dégâts de la ségrégation de classe, de
l'urbanisation de la séparation, toutes deux conséquentes et nécessaires
à l'exploitation capitaliste, en conflits de races et de communautés.
Plus récemment, STOP LA VIOLENCE, le très médiatique manifeste
présenté comme une initiative de jeunes souhaitant combattre la violence
dans leur quartier a connu un cuisant échec.
Au
cour de cette opération se trouvaient en réalité deux journalistes,
Christophe Nick et Pierre Péan, ainsi que David Assouline, conseiller
municipal PS dans le 20ème arrondissement de Paris.
Le Réseau Voltaire fut le premier à révéler
cette affaire : "Le 12 décembre 1998 s'était tenu
à l'Assemblée nationale un colloque interne au Parti socialiste
sur le thème : "Justice et sécurité", auquel
participait notamment David Assouline. A cette occasion, les délégués
socialistes préconisèrent un enracinement dans les banlieues
à partir des comités de quartier. Constatant qu'il manquait
au PS une organisation capable d'occuper le terrain, ils recommandèrent
qu'un tel mouvement soit non pas axé sur la question du racisme
mais sur celle de la sécurité dans les quartiers, et qu'il
soit initié par des jeunes. Deux mois et demi plus tard, le manifeste
voyait le jour."
Dans
le mensonge généralisé, c'est toute la société qui se ment à elle-même,
et la jeunesse des bas-fonds est loin de faire exception.
En soi, la délinquance peut être une force de renversement de l'ordre
établi, mais uniquement lorsqu'elle s'appuie de près ou de loin sur un
projet révolutionnaire.
Souvenons-nous que jusqu'aux années 80, on passait pour un tocard quand
on volait l'ouvrier. Les "coups" étaient à faire dans les quartiers bourgeois.
Aujourd'hui les sous-cultures de business illicites, dans les zones à
population pauvre, sont produites par des mecs plus proches d'un Alain
Madelin (ancien du groupuscule d'extrême droite "Occident") que de Jacques
Mesrine.
Le
vrai problème est que cet arrivisme est conforté par le conditionnement
des instruments de communication de la classe dominante (radios, télés)
qui voit dans cette attitude la porte d'entrée sur les cerveaux de la
jeunesse pour y déverser toutes les ordures du monde marchand.
Et les exemples fusent. Il n'y a pas si longtemps, sur SKYROCK, l'objet
d'une émission de plus de deux heures consistait tout simplement à ce
que le célèbre groupe de rap "113" sillonnât les rues
de la capitale avec le dernier modèle d'une grande marque de scooters
pour en faire clairement la publicité...
La
conséquence est que les jeunes générations de milieu populaire ont souvent
des conceptions du monde semblables à celles des pires conservateurs d'il
y a cent ans (liberté
par l'accumulation financière, bonheur
par la consommation et dans la famille) alors
que même un riche
actionnaire
pourrait aujourd'hui tirer à l'évidence que ses propres enfants seront
condamnés à vivre dans un univers rendu toujours plus hostile, pour que
le capitalisme subsiste, aux conditions de survie biologique de l'humanité.
La
décomposition sociale est donc l'aboutissement du contrôle
des couches de population potentiellement dangereuses pour le pouvoir
de classe... Plus elle se développe, plus elle se renforce,
à l'image des flics toujours plus nombreux sous le prétexte
de combattre la délinquance, tandis qu'en vérité,
ils accompagnent sur le terrain la mise en place progressive d'un
nouveau totalitarisme politique...
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