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Mars 2002
" Nous vivons ce temps où le développement triomphal de l'industrialisation du monde a largement fait admettre aux contemporains que dans sa poursuite ininterrompue s'incarne tout l'avenir du genre humain. On en est à se persuader ici ou là que les métamorphoses du salariat, la filtration et le reconditionnement des polluants industriels, la revanche des biologistes sur les physiciens, combinés à l'assujettissement de masse à l'informatique et aux autres modalités envisageables d'artificialisation de la vie, marqueraient l'avènement d'une ère post-industrielle. Une telle logique ne peut qu'aller à son terme. Elle veut prouver qu'on peut priver l'humanité de toute base arrière, l'abasourdir au point de l'amener à liquider elle-même les ultimes témoignages résiduels d'autres conceptions de la vie. " René
RIESEL,
François
LONCHAMPT- Alain TIZON, |
Dans cette optique, l'action que nous menons, aussi faible soit-elle quant à ses moyens, vise à attaquer l'idéologie marchande sur un terrain où elle est d'autant plus puissante que ses proies sortent tout juste de l'enfance. Là, on ne nous attend pas. Là, nous nous attarderons donc à affûter la critique dangereuse du jeune prolo-consommateur, faux rebelle et tellement convaincu des bienfaits des marchands. du jeune con tant répandu dans nos "sociétés d'abondance" et si bien façonné au goût de la Bourgeoisie. Nous avertissons que rien n'excuse la lâcheté, la soumission et la facilité de l'inculte imbécillité, quand bien même elles seraient encouragées par le pouvoir aliénant du Capitalisme. Le marxisme, d'où qu'il vienne, a trop joué avec le concept d'aliénation pour tout expliquer et d'abord que la classe ouvrière ne fait pas la Révolution.
En ces temps paumés, nombre de pseudo-contestataires se réfugient derrière les certitudes d'une ancienne radicalité devenue obsolète : le culte du voyou, le respect du loubard propriétaire instinctif de la vérité révolutionnaire, persistent dans le pourrissement du gauchisme. Nombreux sont ceux qui, chez les libertaires, se cantonnent à réciter des préceptes vieux d'au moins trente ans et qui précipitent, d'ailleurs, leur misérable pratique vers un soutien croissant à ce qu'ils clament combattre. Ce rabâchage, qui trahit un sommeil profond de la critique, conforte moult clichés officiellement répandus par le Spectacle, et notamment les préjugés à propos de sections fictives du Prolétariat, dénommées médiatiquement "jeunes de cité". Rien d'étonnant donc si les organisations anars évitent toute polémique au sujet de l'offensive idéologique ultra-conservatrice qui tente massivement d'imprégner la jeunesse pauvre.
Le fait, par exemple, que sur les ondes de Radio Libertaire, la "Voix de la Fédération anarchiste" en région parisienne, se distinguent des émissions de "Hip-Hop" telles que "Réveil Hip-Hop" dont le ton est explicitement celui du business (voir www.reveilhiphop.fr.fm) révèle qu'on a jugé nécessaire de céder des plages-horaires à des représentants de commerce pour l'unique raison qu'ils sortent tout droit de la "Banlieue" et que leur présence dans un studio "anarchiste" alimente le fantasme qu'ils sont, avec leur air si déterminé, les insurgés de demain ! Tout aussi pitoyable est l'illusion qui transforme les actes de petite délinquance en points de rupture avec le monde marchand, à partir desquels la société sans classe va naître. Il est certain que de telles arguties ne peuvent germer que dans la tronche de ceux qui sont à l'abri des coups. Et les coups, ce sont, majoritairement, les habitants des quartiers populaires qui les prennent. pas les bourges du 7ème, 8ème ou du 16ème arrondissement de Paris, et c'est bien là le problème. C'est pourtant logique, quand on sait que le Pouvoir planifie la décomposition sociale des couches les plus pauvres de la population tout en accroissant ses fonctions répressives. Parce qu'il connaît une profonde crise, le système capitaliste ne peut plus octroyer d'aide minimale au nombre croissant de ceux qu'il exclue. Par
conséquent le sécuritarisme partout à l'ouvre ne répond pas à une réelle
montée de la violence mais résulte de l'affaiblissement de la société
de classes contrainte aujourd'hui de traiter la misère en ennemie, comme
ce fut le cas en Grande Bretagne à la fin du XIXème siècle. Ainsi,
les partis politiques de la gauche plurielle, de droite et d'extrême-droite,
n'hésitent pas à déclencher des émeutes dans des quartiers qu'ils disent
"sensibles", soit en provoquant les jeunes, soit en payant carrément
certains d'entre eux pour tout casser. Il faut rappeler, ici, que la
plupart des armes circulant dans les "cités" y sont préalablement répandues
par des réseaux organisés et contrôlés par l'extrême-droite, dont les
contacts dans les Balkans s'avèrent fructueux (tout ça avec l'agrément
de l'ONU, bien sûr).
Lorsque tout est fait pour atomiser la classe ouvrière, affaiblie par le chômage de masse, et pour effacer la conscience objective qu'elle a d'elle même afin de mieux l'exploiter, des mafias se développent dans les bas-fonds et ne font qu'accélérer ce processus. Chez cette catégorie informelle de business-men issus de la misère, ralliée à la fierté de soi sans limites, qui communique principalement sur le mode de la dérision agressive, de la fourberie intéressée et de la rigidité caractérielle, la classe dominante a trouvé un de ses plus solides alliés. C'est pour cela qu'il est facile de comprendre pourquoi les pouvoirs publics se font moins présents dans certaines zones où réside le Prolétariat, dont le contrôle par la férocité quotidienne de quelques petits mafieux s'est avéré plus efficace que n'importe quel dispositif étatique. Et puis, pour que le trafic de drogue puisse se faire sans problèmes, mieux vaut, parfois, que la flicaille soit éloignée. L'enjeu est de taille puisque des grandes fortunes sont impliquées tout comme les financiers des partis politiques et des services secrets. Les dealers ne sont pas que dans les rues. Allez voir chez certains "partenaires de terrain" des Communes de Corbeil-Essonnes et d'Evry. Renseignez-vous sur la composition de l'équipe municipale de Créteil, par exemple !
La minorité de fils d'ouvriers devenus "petites frappes" à la solde du Pouvoir voit sa fonction sociale fortifiée et décuplée dans ses effets par l'attention pernicieuse que lui porte l'alarmisme promoteur des professionnels de tous les médias du monde riche. S'ils sont la face cachée de la terreur policière grandissante, ces militants primaires de la réification de la vie constituent l'extrémisme d'un mouvement bien plus large par lequel la bourgeoisie convertit les exploités au culte de la marchandise totalitaire. Subir
ces nouveaux fanatiques qui tentent de combler vainement le vide frustrant
qu'engendre la consommation en intensifiant celle-ci par tous les moyens,
est une peine de chaque instant. Et, pour s'assurer que la stupidité pollue efficacement les rapports quotidiens, des gardiens de la foi consommatrice nous rappellent constamment à l'ordre, tels ces rappeurs parvenus pour qui aboyer des louanges au pognon est devenu un métier à part entière. Si
l'idéologie de sacralisation de l'aliénation consiste présentement à
effacer toute trace laissée par la praxis c'est parce qu'aujourd'hui
l'être humain lui-même s'avère être un frein au développement du capitalisme.
La marchandise, dans son processus de colonisation de la vie, nécessite donc maintenant l'existence d'une créature humaine nouvelle aux comportements qui sauront faire reculer la menace d'un effondrement global provoqué par la baisse tendancielle du taux de profit et la saturation des marchés. Cet
humain là ne poursuit qu'un but, le confort, pourvu qu'il condamne la
difficulté de réfléchir et toutes les sensibilités fondamentales susceptibles
de se heurter à la logique de l'intérêt, comme l'exige l'Economie.
Aussi, pour accéder au paradis de la consommation aliénée, quelques débiles sociaux doivent abandonner toute leur intimité, tant instinctive, affective que sexuelle, à la contemplation de téléspectateurs fascinés par ce nouveau pouvoir de créer de l'essence humaine dont dispose désormais le Spectacle. La
subjectivité artificielle se modèle petit à petit, le temps de broyer
chaque obstacle retardant la venue de cette masse uniformisée à la fois
dans son mode de vie et dans son intimité que le totalitarisme spectaculaire-suicidaire-marchand
appelle.
Aussi, comme catégorie de consommateurs particuliers parce que subissant de plein fouet les contradictions du système capitaliste, la jeunesse populaire fait l'objet d'un traitement spécifique consistant au matraquage cérébral discontinu de propos rétrogrades dont la pauvreté langagière n'égale que leur euphorie devant le consommable. Il s'agit en l'espèce de s'assurer que ces futurs parents d'enfants génétiquement modifiés seront à même de défendre jusqu'au bout le système qui les entraîne au fond de l'abîme. Il faut en plus de son soutien actuel à la terreur marchande que la classe prolétarienne ne puisse réagir intelligemment face aux catastrophes que la domination lui prépare, et, en premier lieu, les bouleversements écologiques et le totalitarisme politique.
Dans
l'arsenal des dispositifs innombrables servant à l'abêtissement des
masses, le "HIP-HOP qu'on voudrait nous vendre"
* est
l'arme perfectionnée pour un appui tactique à la décomposition sociale. La quête effrénée de la minimisation des coûts de production souille cette forme musicale originellement gratuite et la transforme en fer de lance de toutes les vulgarités, n'étant plus que la force d'attraction privilégiée de la plus basse médiocrité. Par cette dynamique les tenants du rap commercial (et tous ceux aspirant à le devenir) s'accomplissent en porte-paroles excités des pires ordures idéologiques, s'illustrant plus par pauvreté mentale que par réel engagement, en s'acharnant à consolider le décalage entre les conditions objectives d'exploitation et la perception faussée qu'en a leur public atomisé. Quand ils ne jouent pas les révolutionnaires de supermarché, ces soldats de la foi marchande tentent de réhabiliter violemment le machisme après deux siècles de lutte des femmes, s'en remettent au "tout puissant" malgré le crépuscule des idoles, partagent les certitudes archaïques des couches les plus conservatrices de la société.
A l'heure de la dégradation massive et irréversible des conditions de survie biologique de l'humanité, de l'éradication globale des forces productives, de la généralisation de la guerre privée, de l'obstination destructrice du Capitalisme pour en finir avec la vie, la stupidité de ces prises de position réactionnaires ne peut nous cacher qu'elles sont aussi et surtout suicidaires. Derrière
ces comportements stéréotypés et purement spectaclistes, une
barbarie moderne se profile.
Une
théorie ne peut être révolutionnaire
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