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Juin 2002 LE
CARNAVAL DES DICTATEURS
" La véritable intolérance est celle de la société de consommation, de la permissivité concédée d'en haut, qui est la vraie, la pire, la plus sournoise, la plus froide et impitoyable forme d'intolérance. Parce que c'est une intolérance masquée de tolérance. Parce qu'elle n'est pas vraie. Parce qu'elle est révocable chaque fois que le pouvoir en sent le besoin. Parce que c'est le vrai fascisme dont découle l'antifascisme de manière : inutile, hypocrite, et, au fond, apprécié par le régime." Pier Paolo PASOLINI (1976) |
Ainsi, lors de la récente désignation du Président de la République, la décomposition du Spectacle désormais impossible à masquer a accouché du spectacle de la Décomposition, avec l'avènement, en finale, d'un candidat d'extrême droite que la mascarade électorale n'avait pas programmé. Aussitôt, tous les partis politiques en campagne, exceptés Lutte Ouvrière et le Parti des Travailleurs, ont entonné le chant pervers et obsolète du "Front Républicain" afin de mener héroïquement un haut fait d'armes du combat antifasciste d'arrière-garde, plus que jamais nécessaire au maintien de l'horreur de la présente société de classes. Dans le même élan, ce qui peut ressembler à une contre-révolution citoyenniste, dont on voyait pointer les prémices depuis quelques années, est venu resserrer les rangs de la Domination pour tenter d'anéantir une bonne fois pour toute le spectre de l'abstentionnisme et son cortège de plaidoiries contre le système capitaliste. Rien de difficile à organiser puisque les générations "Mitterrand", "Loft Story", formatées au cynisme, à l'individualisme crédule du bon consommateur et à l'indifférence politique, n'ont eu qu'à feindre s'intéresser aux affaires publiques l'espace d'une semaine pour se jouer le film de l'engagement politique sans risques à coups de manifestations aseptisées et de "participationnisme" zélé...
Les médias de masse, télévision, radio et presse, n'ont pas manqué d'obéir aux ordres des grands groupes industriels et financiers auxquels ils appartiennent. En bons chiens de garde, les journalistes avaient compris que cette élection présidentielle devait se faire sans réel débat puisque de toute façon elle n'aboutirait, quel que soit l'un des principaux candidats élus, qu'à l'application des directives européennes et des engagements de la France pour se conformer au pacte de stabilité monétaire. Chirac et Jospin n'avaient d'ailleurs rien envisagé d'autre en s'accordant conjointement, au sommet de Barcelone, afin de poursuivre la politique dictée par le capital financier dans le cadre de l'Union Européenne. Rien d'étonnant que les programmes électoraux des deux gouvernants ne se soient distingués que par la forme et le détail.
L'insécurité, comme thème unique évoqué lors de la campagne, a alors eu un avantage double :
On
a donc entendu que Le Pen avait assuré une percée sans précédent. Réellement
pourtant, le candidat du FN n'a bénéficié au premier tour que de 11,66%
des suffrages des inscrits avec 4 805 307 voix, soit 234 469 de plus
qu'aux Présidentielles de 1995. Le maquillage des chiffres s'est renforcé d'une interprétation du sens du vote Le Pen et de l'identité sociale des électeurs d'extrême droite donnée par l'intelligentsia politico-médiatique montrant, au passage, à quel point celle-ci sait manier les pratiques de désinformation et de psychologie de masse chères aux totalitarismes contre lesquels elle prétend cyniquement lutter.
Entre
les deux tours, on a vu toute cette bonne société habituée des banquets
en appeler, dans une furie pédante, aux experts du divertissement de
l'ennui, stars et autres personnalités médiatiques, pour
qu'ils vomissent tout le racisme de classe qu'ils
entretiennent
à longueur de temps envers ceux qui sont si prompts à mener, aujourd'hui,
ce
que le Fonds Monétaire International Ainsi, on a très vite entendu de la gueule de ces bourges, de ces arrivistes puants, vociférer des accusations contre ces pauvres qui seraient les premiers à voter Le Pen, contre cette classe ouvrière qui, d'après leur verve manipulatrice, aurait sciemment appeler le fascisme pour détruire les valeurs de Liberté Egalité Fraternité, contre lesquelles elle cultiverait une haine inavouable... Là encore, et même s'il nous est sans cesse martelé, le mensonge ne tient pas face à la réalité.
On constate alors que Jean-Marie Le Pen a perdu plus de 20 000 voix par rapport à 1995 dans le département le plus ouvrier de la région parisienne, la Seine-Saint-Denis (91 176 voix en 1995, 70 232 en 2002). Dans les départements industriels du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, Le chef du parti d'extrême droite perd respectivement plus de 17 000 voix et plus de 8000 suffrages. Dans le Rhône, où Le Pen est passé en tête devant tous les candidats, celui-ci perd plus de 8000 voix.
Le Pen perd le plus de voix dans les départements qui étaient des bastions du FN en 1995. On note qu'en réalité le Front national abandonne le plus de voix là où réside la classe ouvrière alors que sa progression en nombre de suffrages comparativement aux élections de 1995 se réalise dans les départements où il était le plus faible et qui ont principalement une caractéristique non industrielle (à l'exception des Alpes-Maritimes, de la Haute-Saône et du Tarn et Garonne) : Corrèze, Ariège, Vendée, Gers, Aveyron, Corse du Sud, Creuse. Cette réflexion étant faite, on ne peut toutefois évincer l'hypothèse sérieuse selon laquelle une partie du prolétariat a, en toute connaissance de cause, joué le jeu dangereux de l'épouvantail lepéniste pour avertir les dominants que le pacte de paix sociale était en passe d'être brisé.
Pour corroborer cette dernière affirmation, arguons que jamais auparavant l'abstention n'avait été si forte au cours d'un premier tour d'élection présidentielle, "rendez-vous" traditionnellement considéré comme le plus important dans le calendrier électoral de la Cinquième République : 28,40% des inscrits n'ont pas été voter ce 21 avril, soit 11 698 353 (ils étaient 8 647 118 à ne pas se déplacer à la même occasion en 1995). Ainsi,
16 millions de personnes (près d'un électeur sur trois) ont décidé le
21 avril 2002 de ne pas participer à la désignation de leurs maîtres,
de refuser de cautionner la farce électorale, dans un système où le
dévoilement de la généralisation de la corruption est le symptôme d'une
crise structurelle en phase terminale.
Petit à petit, le prolétariat se défait des illusions qu'il s'est construites à propos de ceux qui sont censés représenter ses intérêts et qui ne sont en réalité que des valets vendus aux intérêts du patronat et des banquiers. Mais le chemin de la révolution est parsemé d'obstacles, se fraye par prises de positions et abandons successifs, surtout à notre époque où la bourgeoisie dispose des techniques les plus modernes pour manipuler les masses.
Cet entêtement à bannir le dialogue a pris la forme d'une lutte spectaculaire et entre deux caricatures, censées être ennemies, ravivées pour l'occasion. Deux serviteurs fanatiques du capitalisme dont la fonction principale est d'éviter le conflit ouvert entre les classes sociales : les "républicains", les "fascistes". Les conditions ont pourtant bien changé depuis le Front populaire et l'Allemagne nazie.
La composante "de gauche" de ce "front républicain" est celle qui a privatisé le plus, écrasé les droits des immigrés, mené une politique de lutte contre les ouvriers. Le fascisme étant dissout dans les mesures dictées par le pouvoir en place, le camp des "fascistes" donne l'image de "faire de la politique à l'ancienne", celle d'une époque pourtant récente où les décisions se prenaient dans le cadre des institutions nationales. Et cela présente l'illusion de la subversivité. Comme ennemi spectaculaire privilégié du pouvoir, les partis d'extrême droite remplissent la double fonction de canalisation-propagation de la peur afin de permettre à la bourgeoisie, en situation de péril, d'être en position de se défendre sur un terrain où elle est d'emblée désignée victorieuse en s'érigeant en garante des libertés fondamentales. Au passage, notons que ce schéma appliqué dans le cadre de la crise des institutions en Europe prévaut aussi au niveau international afin de justifier la guerre totale contre les peuples menée par l'impérialisme yankee dans son combat contre "le camp du mal".
Nécessairement épuré, pour la circonstance, de ses considérations sur la "civilisation des services publics" et sur la "démocratie participative", le sophisme citoyenniste n'a servi, entre les deux tours, qu'à revigorer le concept en ruine de République en se bornant à n'avancer frénétiquement que ce qu'il possède : la participation comme principe absolu et donc vide de sens. Cette dictature de la pensée ne tolère rien d'autre que ce qu'elle est présumée défendre.
Devant les yeux de celui qui ne vote pas, parce que convaincu qu'il se fait baiser, c'est bien un nouveau totalitarisme contre un ancien qui se sont affrontés ce 1er mai 2002. Par ailleurs, sans l'appui de tous ceux qui forment les bataillons citoyennistes, c'est à dire "la gauche plurielle", "l'extrême gauche plurielle" (ATTAC, LCR), jamais le candidat Chirac n'aurait obtenu un nombre de voix suffisantes pour légitimer la politique de choc contre la population qu'il a décidé de mener au sommet de Barcelone. L'enjeu fondamental est là : faire adhérer les masses exploitées à leur propre anéantissement social, politique et peut-être même physique... Ni plus, ni moins.
(Notons ici que l'abstention au second tour de 2002 est quand même la plus importante de tous les seconds tours d'élection présidentielle même si elle est de 9 points inférieure à celle du premier tour.) De ces élections présidentielles, la population exploitée devrait tirer les leçons qui s'imposent à elle. Bien que la tâche soit extrêmement difficile, la Révolution prolétarienne se présente de plus en plus comme l'évidente solution face à une situation de plus en plus chaotique et dangereuse pour chacun, tant aux niveaux local, national, qu'international, tant aux dimensions individuelles que collectives...
Pour les mois, les années qui arrivent, la classe dominante a planifié une politique de guerre contre les travailleurs : destruction de la sécurité sociale, du régime de retraite par répartition, des services publiques (santé, transport, énergie), et des dispositions en faveur des salariés dans le code du travail, remise en cause du droit de grève, destruction de ce qui reste des libertés démocratiques.
Dès à présent, il est temps de bâtir l'organisation révolutionnaire assez forte pour éviter la barbarie annoncée, assez responsable pour opérer le travail de reconstruction de la critique révolutionnaire, laquelle n'a pu jusqu'à présent surmonter les obstacles qui la tiennent en échec. Mais,
déjà, on entend partout les cris de la populace houleuse, survoltée
par la Coupe du monde de football, dont les responsables savent décidément
bien choisir les pays d'accueil : la France au sortir de décembre
1995, la Corée du Sud aux milliers de grêves dures ces dernières années...
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