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Dresser un necessaire inventaire
des apories de la pensee revolutionnaire

Echange avec Faridondaine (Novembre 2009)

 

de : Faridondaine
à : contact.rapaces@gmail.com
date : 22 novembre 2009
objet : dresser un nécessaire inventaire...

Bonjour,

Une visite sur votre site et la surprise d'y découvrir un nouveau texte,
dont j'apprécie l'analyse autant que la démarche, justifient au moins ce
soit-dit en passant :
Au plaisir de vous lire, et continuez !

Ensuite et cependant une petite contrariété m'inspire un commentaire.
Il s'agit de tout ou presque le 5è paragraphe de la partie intitulée Sur
la société post-révolutionnaire.

A l'origine de cette contrariété deux aspects :


- Quid de cet "organe centralisé, certes élu démocratiquement, parce que
doté d’un regard à même d’englober la totalité des problématiques" ?
Vous faites par ailleurs référence à la nation, dont l'idée vous semble
chère (cf " comité de production nationale" au tout dernier paragraphe).
En admettant que celle-ci soit encore opérante, c'est à dire existant
comme processus politique en dehors des institutions qui
la font perdurer - pour leur propre survie, ou soit amenée à l'être de
nouveau, quelle raison historique justifie d'en appeler par ailleurs à un
organe centralisé ? Ne s'agirait-il pas d'un nouvel État-nation ?


- Sur l'autogestion ici considérée ( l'étymologie de ce concept y est pour
beaucoup ) du point de vue exclusif de la gestion de la production
au détriment de la production même, du produit. Cela accrédite
l'irréductibilité de la voiture et de la centrale thermique, cités en
exemple, quand l'autogestion, j'en suis du moins convaincu, est porteuse de
leur destitution. Il est pourtant significatif que vous n'évoquiez pas
jusqu'à l'autogestion future des réacteurs nucléaires...
pour cause. Le produit ne contient-il pas en substance toute
l'organisation de la production ? Pour faire une rallonge, l'ordinateur
d'où vous lisez ce billet maladroit, votre ordinateur donc, dans sa chair
composite, imbibée de sueur taïwanaise, repue de sang camerounais, mue par
des intelligences hors sol, n'est-il pas la dernière antinomie planétaire
de l'autogestion ? Peut-il ne pas l'être ? En d'autre termes, l'autogestion
est-elle homogène à tout produit, ou n'est-ce pas son absence qui a vu
naître un certain nombre de services et d'objets ?

Le produit n'est-il pas à son tour ce qui a pu encourager des
organisations contraires à l'autogestion ?
A l'époque ou de nombreux ateliers automobiles étaient imprégnés, par
certains aspects, de cette dernière ( caractère expérimental, inventif,
familial/affinitaire de l'activité )le fordisme a tiré une part de son
succès de la possibilité sans précédent pour les ouvriers d'accéder aux
voitures qu'ils produisaient.

En fait, il en va de la relation de cette pratique à l'idéal qui l'anime :
la reprise en main de la production à celle, implicite, de ma propre
existence. Or l'expression actuelle du projet autogestionnaire relève plus
souvent de l'incantation à l'orée d'une occupation, d'un mouvement, ou de
l'enthousiasme suscité par la relance d'une usine par ses salariés après le
dépôt de bilan,
que d'une pratique parvenant à s'inscrire dans la durée et à essaimer.

Quelques réflexions sur quelques exemples.
-L'expérience rebattue des LIP, par exemple, peut difficilement constituer
un exemple d'autogestion "authentique", pour reprendre l'expression.
On peut  en premier lieu évoquer l'absence à priori de contrôle sur la
nature de la production, déjà intégrée dans un système
d'approvisionnement et de distribution mondialisé. Plus que d'une
véritable autogestion, son "succès" a été celui d'un nouveau modèle de
management d'entreprise, efficace car participatif, qui trouve dans le
toyotisme contemporain de ces années l'aboutissement le plus absolu.
-Il n'est pas anodin en revanche que les expériences à l'épreuve du temps
se soient fondées sur des activités encore relativement épargnées par la
séparation économique des tâches, telles que l'agriculture la petite
industrie et l'artisanat. Longo Maï et Ambiance bois parmi d'autres, sont
des exemples modestes et qui peuvent susciter de nombreuses réserves...
mais cependant n'empoisonnent pas encore la planète et ne semblent pas
devoir disparaître du jour au lendemain.

Sans asséner qu'il n'est d'autogestion que paysanne ( Espagne
républicaine, Ukraine mackhnoviste ) et artisanale ( fédération
jurassienne, Vorarlberg) je pense enfin qu'on puisse difficilement
envisager la réorganisation de la production à des fins autogestionnaires
sans réserver un traitement de même ampleur aux produits. Le questionnement
sur leur valeurs d'usage, symbolique, et marchande n'est pas loin.


Merci de ne pas prendre au sérieux une écriture qui, fort de son
imprécision et de ses lacunes, s'interdit volontairement toute vocation
théorique. Enfin d'en faire ce que vous voulez.
Si elle vous intéresse c'est pour mon plaisir, si elle vous excède, c'est
cause que son auteur à du mal à participer sérieusement aux médiations
technologiques de la conversation.
Bonne chance à vous et peut-être à bientôt.

Faridondaine


Quelques liens.
http://www.dailymotion.com/video/x3cuv2_propagande-1_creation
http://www.dailymotion.com/video/x5bqkf_un-siecle-de-progres-sans-merci-01_tech
http://sortirdeleconomie.ouvaton.org/

 

Le 8 janvier 2010

Salut,

Nous ne suivons pas ton invitation et prenons donc au sérieux tes remarques, lesquelles sont de réelles interpellations théoriques.

On te rassure, nous n'accordons aucune valeur émancipatrice au concept de « nation », qui, selon nous, n’est autre qu’une arme dévastatrice ajustée aux seules mains de l'ennemi. Il faudrait être aveugle, amnésique ou simplement léniniste pour ne pas savoir que la vieille lune nationaliste est un des vecteurs efficients de la pollution idéologique bourgeoise. Invitation à l'interclassisme béat, façonnement des subjectivités individuelles et collectives à l'artifice niveleur d'une perception de la réalité aussi étriquée que grégaire, la nation est une pure mystification disciplinaire. Cette itérative convocation à adhérer aux rapports de domination sollicite  une irrecevable défiguration permanente des sentiments, des pensées et des faits, sans laquelle la communauté de destin nationale, miroir déformant de l'ordre capitaliste, ne reste qu'une chimère. Carrefour de la confusion, la nation est cet espace fantasmée où la peste émotionnelle des gouvernés communie avec les sordides manipulations inhérentes aux techniques de gouvernance. D'en haut, on réinvente sans cesse un pseudo consensus qui unirait les individus ainsi que les communautés, au delà de l'impitoyable lutte des classes. Cela évite d'exposer une défense littérale des centres d'intérêts capitalistes, qui présenterait le périlleux inconvénient de révéler précisément la substance même de la société : la morbide accumulation du capital. De l'autre côté de la barrière de classe, on préfère aimer la nation, à défaut de pouvoir apprécier la bourgeoisie. Ce n'est donc pas un hasard si tout mouvement nationaliste (dans un sens large) implique une critique compulsive de l'élite, laquelle vient consacrer le dressage du sentiment de révolte envers le maître, que l'éducation à la hiérarchie mêlée à la réification marchande ont préalablement réalisé. Le renfrognement impuissant à transformer radicalement le monde, typique de la populace domestiquée, est alors rassuré, ou plutôt honoré, puisqu'une place symbolique lui est aménagée au mont sacré de la doctrine politique.
Jadis, cadre de l'affirmation tumultueuse des différentes bourgeoisies sur la scène historique et socle de fortune de l'unification de classe du prolétariat, le nationalisme, et son aboutissement, la nation, ont rallié la destinée réactionnaire de toutes les catégories de la pensée bourgeoise, à mesure que la décadence impérialiste est devenue la marque barbare de la trajectoire du capitalisme. Dans cette perspective, la vulgate léniniste, qui continue d'accorder à la nation et au "nationalisme de gauche" une mission de résistance ou d'appui à la libération prolétarienne est elle-même tout bonnement réactionnaire. Rien n'est plus flagrant aujourd'hui que les résultats politiques lamentables des apories du dogme léniniste. L'extrême droite, dans toutes ses variantes, sait désormais tirer des avantages inespérés de ces travers insurmontables. On défend les pires positions identitaires sous couvert de la défense des nations opprimées. On revendique la réminiscence de l'obscurantisme religieux au nom de la lutte anti-impérialiste, on  s'agite en faveur des régimes autoritaires qui, en Iran, au Venezuela, trempent dans l'antisémitisme le plus abject, tout en accélérant l'intégration brutale de la force de travail au marché mondial. Alain Soral et consorts tirent sur ce fructueux filon. Les nostalgiques des "luttes de libération nationale" et des fadaises tiers-mondistes ne peuvent que couvrir d'un silence assourdissant ou d'applaudissements appuyés, les vociférations de la nouvelle cour des miracles sous-fascite qu'occupent les « marxistes-lepénistes », les « islamo-gauchistes », les « etnho-différentialistes anti néocolonialistes ». A l'époque de la désagrégation de toutes les idéologies, en commençant par le discours protéiforme de la classe dominante, les derniers murs porteurs de ces écoles d'embrigadement décrépies sont précisément les passerelles idéologiques qu'elles ont su, à leur corps défendant, ériger entre elles. L'histoire a jugé ces adulateurs de l'Etat terroriste qui, d'un bout à l'autre de l'échiquier politique, agitent l'oriflamme nationaliste, peinte en rouge ou en brun. Réduits à gesticuler sous les projecteurs capricieux de l'espace médiatique, ça et là récompensés, pour leurs loyaux services, d'insignifiants fragments de l'administration locale, ces crétins se savent détestés des masses, maintenant et à jamais. En les regardant, la bourgeoisie entrevoit certains des stigmates de sa propre dégénérescence. Au demeurant, c'est toujours plus dans ces cerveaux naufragés qu'elle va pêcher les idées qui font les fiascos de sa politique improvisée. L'une des dernières en date est ce débat pathétique sur l'identité nationale qui, malgré quelques remous de circonstances, ne parvient même pas à scandaliser. La majorité des gens s'est depuis longtemps détournée de ces crises d'épilepsie spectaculaire, qu'elle observe dorénavant d'un oeil dépité. Quelques temps après les furtives jacasseries élyséennes sur le "patriotisme économique", le poussiéreux chiffon nationaliste ne récolte plus que l'éternuement morveux de quelques demeurés xénophobes. Ici, comme ailleurs, l'oligarchie snobinarde parle du caniveau de l'intelligence et n'y rencontre que des rats.

A l'évidence, notre haine invétérée de la nation et son cortège d'imbécillité obscène est à contre-pied de ta réflexion : "Vous faites par ailleurs référence à la nation, dont l'idée vous semble chère". Aussi ce "comité de production" évoqué dans notre introduction, n'est "national" qu'à titre d'exemple. On a souhaité, par là, nous référer à une instance présente sur un échelon territorial plus vaste que la dimension locale. Ce comité, dans les délais que nous souhaitons les plus brefs dès l'avènement de la société sans classes ni Etat, résulterait de nouvelles redéfinitions de la carte politique, au travers de la démocratie communiste. Une remarque cependant, dans le point 5 de la partie C), nous affirmons qu "il faudra, dès la guerre révolutionnaire, réorganiser la production en identifiant précisément les pans de l’économie à préserver en l’état (minorité), abandonner ou  transformer." Partant que la majeure partie de l'appareil productif est, aujourd'hui encore, façonné dans le cadre national, même et y compris sur l'impulsion d'entités transnationales (économiques, financières, étatiques et paraétatiques), il nous paraît plus adéquat, dans les premiers temps de la révolution, que ce comité se calque sur ce degré territorial. Ce dernier serait, ainsi, plus à même de coordonner les bouleversements prioritaires que nécessiteront la production et la distribution des biens et des services. Par ailleurs, la centralité de cet organe ne lui confèrerait aucunement un pouvoir bureaucratique, dans la mesure où il serait lui même l'émanation des unités de production et d'échanges, (usines, entreprises...) et des conseils de consommateurs. En outre, ses membres seraient bien évidemment élus et titulaires de mandats révocables par les conseils. Il s'agit ici, d'inventer une procédure qui, selon nous, permettrait d'écarter la dictature stérile de l'assemblée, laquelle n'est qu'une déformation paralysante de la démocratie directe. On laisserait un minimum de temps qu'exigerait une juste évaluation, par les conseils de travailleurs, de l'exercice des mandats du comité de production. Cet organe pourrait également fonctionner selon une rotation des tâches dont la mécanique inédite permettrait de préserver les élus répondant correctement aux besoins de la population. Mais profitons de ta réflexion pour lever un malentendu, certainement dû à la brièveté de notre propos initial. Ce comité de production serait avant tout, un appareil comptable recensant la situation de chaque unité de production et de distribution afin d’établir périodiquement un panorama des possibilités et difficultés rencontrées par le nouveau mode de production. En fonction de ce tableau général, les conseils décideraient régulièrement des mesures à adopter et accorderaient des prérogatives au comité de production de sorte qu’il contrôle le respect de la planification ainsi définie. Cet organisme neuf aurait donc une fonction technique et coordinatrice. Il serait divisé en autant de sous comités de statistiques et de coordination que nécessaires. " Seuls l'organisation de la production et de la distribution  par des conseils de producteurs et de consommateurs, et l'établissement d'une comptabilité centralisée permettront d'abolir le marché libre" (Helmut wagner, "L'anarchisme et la révolution espagnole", juin 1937).
Il n'est donc pas question d'une direction centrale de production et de distribution, laquelle aurait la possibilité de s'approprier le pouvoir et de se tourner en force coercitive contre les travailleurs. Encore moins s'agit-il d'un "nouvel Etat-Nation", forme institutionnelle qu’on aura jetée aux ténèbres du passé.

Quant à l'autogestion, on craint que les raisonnements que tu nous attribues soient très éloignés d'une lecture attentive de notre texte. Nous n'envisageons bien évidemment pas celle-ci "du point de vue exclusif de la gestion de la production au détriment de la production même, du produit", ce qui accrédite [ait] l’irréductibilité de la voiture et de la centrale thermique, cités en exemple, quand l'autogestion, j'en suis du moins convaincu, est porteuse de leur destitution." Nous croyions avoir été pourtant clair lorsque nous disions : "S’ajoute à cette complexe interdépendance des unités de production le fait que la majorité des activités économiques participent de la pollution catastrophique de la planète. Il n’est donc plus possible, sur ces bases subtilement empoisonnées, de procéder à une simple appropriation autogestionnaire de l’appareil productif, à la manière des anarcho-syndicalistes ou des conseillistes. Il faudra, dès la guerre révolutionnaire, réorganiser la production en identifiant précisément les pans de l’économie à préserver en l’état (minorité), abandonner ou  transformer." Et tu as également compris à l'envers notre référence à la production automobile. Nous affirmions qu'il n'était pas admissible que, par exemple, les travailleurs de l'automobile puissent invoquer l'autogestion afin de poursuivre leur nocive production. En d'autres termes : "On peine, alors, à imaginer qu’une assemblée de travailleurs d’une usine automobile refuse de cesser la production sous prétexte qu’elle l’a décidé d’après les modalités de l’autogestion."

Pour conclure, nous rejoignons tes réflexions sur l'autogestion et le contrôle ouvrier. Ces deux phénomènes sont intégrés depuis plusieurs décennies au fonctionnement de certains secteurs marginaux du capitalisme mondial et servent de modèle au management participatif, aujourd'hui très répandu.

En espérant que tu sois un peu moins contrarié.
Merci pour ton intéressante contribution qui, aux côtés de la présente réponse, sera publiée sur notre site.
A bientôt..

 


rapaces.garap.org