Edito - Octobre 2006




Bribes de réflexion sur la mauvaise réputation du projet révolutionnaire.

Nous pensons que les conditions sont cent fois réunies pour qu’ait lieu la grande Révolution Prolétarienne Mondiale. Pour autant, on ne voit toujours rien à l’horizon même si la lutte des classes va en s’intensifiant. Nous réfléchissons sur ce tragique décalage, étant cependant lucides sur les limites que peut apporter la théorie. Nous réfutons toute démarche idéaliste, seule une théorie inspirée et vérifiée par les faits nous intéresse.
Cela étant, il existe selon nous un certain nombre d’arguments fondamentaux qui pourraient servir de base pour une réflexion éclairante et conséquente sur ce sujet. Sans rentrer dans les détails, cela sera l’objet d’une introduction à l’un des 7 thèmes de discussions autour de la Révolution que nous mettrons en ligne sur notre site début 2007, nous pensons d’abord que la place du prolétariat dans la reproduction du capital est une donnée centrale. Le prolétariat est l’autre classe de la société capitaliste. Elle est présentée par la pensée marxienne comme la seule classe de la négation de ce système, ce à quoi nous ne pouvons qu’adhérer. Toutefois, rien n’éclaire sur la capacité du prolétariat à opérer jusqu’au bout l’éradication des rapports de production, c'est-à-dire à affirmer sa propre négation. Rompre avec l’attachement aux conditions d’existence présentes, aux habitudes, à l’adhésion au quotidien forcée mais ancrée chez les masses, est une tâche immense. Certains, comme André Prudhommeaux, ont d’ailleurs conclu que faire advenir rien de moins qu’une autre humanité était une mission trop écrasante pour qu’elle ne soit assumée que par une seule classe. Dans cette lancée, il est nécessaire de reconnaître que le projet révolutionnaire peut être entaché d’une certaine suspicion chez les exploités. C’est souvent la même question, peut-être conservatrice mais de bon sens, qui revient dans la bouche de beaucoup : « Vous voulez tout changer mais pour quoi faire (sous entendu pour faire pire) ? » Et puis, Il ne faut surtout pas oublier que les conflits entre les classes ont jusqu’ici fait finalement triompher la bourgeoisie et que cette dernière sait dissuader les tentatives d’un renouement avec des cycles de lutte militaire à l’initiative du prolétariat en exhibant perpétuellement sa puissance de feu écrasante, prête à être déclenchée à chaque instant. A ces données vient s’ajouter l’histoire de la trahison des exploités par leurs représentants (2 ème, 3 ème et 4 ème internationales), laquelle a fortement favorisé la prolifération massive d’idéologies défaitistes voire nihilistes. Nous vivons l’époque de la première grande crise de l’idée de Révolution sociale. Selon nous, cette crise doit servir à épurer les conceptions qui président aux transformations radicales de la société. Elle n’est en rien définitive. Elle n’est pas un naufrage mais peut-être l’occasion d’opérer un véritable bouleversement anthropologique dans les prochaines décennies.
C’est notamment pour toutes ces raisons que nous pensons qu’il est impératif de renouveler le projet révolutionnaire, sans hésiter à renoncer aux vieux mythes, et en s’attachant à décrire au mieux les bases et les fonctionnements possibles de la société post-capitaliste. Sans quoi, il est fort possible que les contestations futures restent aveugles face à l’alternative viable d’une société communiste.


Eléments d'analyse pour une compréhension lucide des émeutes de novembre 2005 et de la bataille de classe déclenchée par le CPE.

Les émeutes de novembre 2005 et la lutte anti-CPE sont des phénomènes distincts de par leur nature mais extrêmement liés. Comme les grandes grèves et les manifestations gigantesques multipliées dans les pays avancés depuis le milieu des années 90, tous deux témoignent à la fois de l’épuisement du système capitaliste et de la recomposition des forces prolétariennes. Chacun de ces deux mouvements a concentré les formes d’expression que prendront encore plus radicalement et largement les explosions sociales de demain. Ils ne peuvent être compris sans être mis en perspective avec l’offensive contre le projet de Traité sur une Constitution Européenne et l’instauration d’un gouvernement revanchard comme unique réponse de la bourgeoisie suite à sa défaite au référendum de mai 2005. Dans une certaine mesure, les émeutiers ont assumé la responsabilité que n’a pas prise l’ensemble du prolétariat face à l’obstination arrogante de la classe dominante : affronter dans la rue le Pouvoir de classe. Il est néanmoins important de rappeler le rôle majeur assumé par les appareils politiques de la gauche (LCR, ATTAC, PC PS) pour mettre fin dès juin 2005 à la profonde mobilisation populaire contre l’Europe du grand capital. C’est donc dans un climat d’étouffement des voix de la contestation que l’insurrection de la couche la plus écrasée et méprisée de la jeunesse s’est déclenchée. Pour autant, ces émeutes n’ont pas été explicitement anticapitalistes. Les attaques n’ont pas été directement portées contre la bourgeoisie, révélant les limites de la conscience sociale des séditieux, pour la plupart en proie à la sous-prolétarisation. On peut dire sans trop se tromper que ces émeutes se sont déroulées en 3 temps : Partis d’une manipulation du Ministre de l’Intérieur en personne, efficacement montée avec la complicité infaillible des conglomérats médiatiques, les événements ont vite pris une tournure imprévue et ont débouché sur une phase où des éléments d’extrême droite et policiers ont eux-mêmes participé à des destructions ciblées contre la population pour susciter un appel massif du retour à l’ordre. Cependant, nombre d’objectifs de la domination ont échoué : Les affrontements n’ont pas donné cours à une « libanisation », les insurgés ne se sont pas regroupés autour de critères ethniques et religieux. La controverse entre les Renseignements Généraux et le cabinet du Ministre de l’Intérieur fut édifiante à ce propos. Ensuite, c’est finalement toute une entreprise de dissuasion à coup de reportages télévisés sur l’efficacité invulnérable des milices étatiques ces dernières années qui s’est écroulée. Les émeutiers ont affirmé en acte que non seulement ils n’étaient en rien effrayés par les dispositifs policiers sophistiqués qui les répriment au quotidien mais surtout qu’ils pouvaient être à l’initiative de combats organisés contre les forces de l’ordre. Sur ce dernier point, il est important d’insister sur les enseignements qu’ont apportés les émeutes quant aux méthodes renouvelées de guerilla urbaine. La plupart du temps, les flics, même s’ils s’amusaient parfois, ont été mis en échec. Des techniques de ravitaillement en munitions, de dissimulation des armes, de coordination, de regroupement et de retrait des bandes ont été appliquées. De même, les insurgés ont démontré qu’il était encore possible de tendre des embuscades victorieuses aux forces étatiques, malgré l’urbanisme pacificateur et la technologie policière moderne.
Le romantisme petit-bourgeois qui a vu chez les émeutiers de 2005 les nouveaux Communeux est à bannir, tout comme le défaitisme le plus plat et au fond très réactionnaire qui s’est empressé de qualifier ceux-ci de « nouvelles sections de la Barbarie », notamment dans certains clubs de réflexion parisiens « libertaires-post-situs ». Avec le recul, on peut dire que les émeutes ont principalement servi de socle radical à ce qui allait être enclenché quelques mois plus tard : la première grande riposte prolétarienne en France face à la politique de reconquête menée depuis plus de 20 ans par la bourgeoisie. L’offensive lancée par les exploités, à l’occasion d’une mesure visant à aggraver drastiquement la recomposition de la force de travail, a été exemplaire à de nombreux égards et fait déjà date. En cela, elle est historique et marque l’avènement d’une nouvelle génération anticapitaliste, dont on avait déjà pu percevoir l’existence durant le mouvement lycéen de 2005. En arpentant les rues dans des cortèges sauvages ou en participant aux manifestations les plus importantes depuis la Libération, beaucoup partageaient le sentiment que l’heure de la grande bataille contre une société en lambeaux était sur le point de sonner, qu’il ne manquait rien pour que l’on vive un bouleversement de la vie. Ce qui a frappé c’est cette détermination tranquille et naturelle par laquelle les étudiants se sont organisés et ont fait fonctionné limpidement la démocratie directe. En cela, ils ont dépassé les querelles de mai 68, où les bureaucrates assuraient encore le pouvoir de contrôle sur les masses. La Coordination Etudiante a été l’affirmation de la puissance du combat autonome contre le Capitalisme, et ce malgré les efforts surhumains des syndicats pour tenter, comme à leur habitude, de domestiquer la contestation. Une fois de plus, en quelques mois, le Pouvoir n’a pas su répondre efficacement face aux initiatives des exploités. Les occupations sauvages, les rassemblements incontrôlés sur la voie publique, les déménagements ou mises à sac de cibles du Pouvoir de classe (MEDEF, UMP), les tentatives renouvelées d’élargir la mobilisation au monde carcéral de l’entreprise, ou les combats de rue bien plus organisés qu’auparavant, ont été autant de signes d’une imagination prolétarienne ressuscitée et d’une vigueur populaire qu’on croyait définitivement enterrées par le mode de vie amorphe dominant. Pour la première fois s’est présentée l’ occasion d'ouvrir à nouveau les champs pratiques et théoriques obstrués depuis 30 ans, en vue de reposer la question d'un nouveau monde. C’est en partie ce qui a été fait, lors de nombreuses assemblées générales étudiantes et lycéennes dans toute la France. Les positions strictement défensives caractéristiques du mouvement de décembre 1995, déjà en partie dépassées en 2003 lors de la lutte contre la contre-réforme sur les retraites, ont laissé la place à des engagements et des réflexions plus radicales et globalisantes.
Le combat a pris fin sous les effets de l’écart de conscience entre l’ensemble du prolétariat et la nouvelle avant-garde révolutionnaire de la jeunesse. Malgré leur implication qui n’a pas été négligeable, les travailleurs ne sont toujours pas prêts à une remise en cause fondamentale de la société capitaliste et les affrontements extrêmes que celle-ci implique. C’est à cette limite que se sont confrontés tous ceux qui ont œuvré pour donner à cette lutte un visage révolutionnaire. On note au passage combien les organes de contrôle politique (syndicats et partis) ont mobilisé toutes leurs forces pour imposer leur vision anachronique et suicidaire d’un capitalisme qu’ils feignent pouvoir encore réformer.
Tous les enjeux soulevés en 2005 et 2006 par les grandes offensives populaires restent en suspend. Une radicalisation des camps sociaux s’est opérée, rappelant que seule la lutte des classes est le moteur de l’histoire, qu’elle seule façonne le devenir du monde. Chacun sait désormais que le cours des événements va s’aggraver. La population a comme l’air de profiter des derniers instants de confort et de bien-être relatifs qu’offre cette société avant la grande guerre, où il sera vital de s’organiser sur le chemin de la révolution pour éviter que chacun n’ait à sauver sa peau. A ce propos, les heurts entre lycéens et bandes opportunes de dépouilleurs en mars 2005, et qui se sont répétés plus brutalement pendant le CPE, notamment le jeudi 23 mars 2006 aux Invalides, sont révélateurs de l’impérieuse nécessité qui s’impose à la lutte prolétarienne de ne pas se laisser garrotter par des tenailles tenues des deux côtés de la barrière de classe. Ils posent gravement la question de l’urgence de la maîtrise, par les révolutionnaires, de la violence sécrétée par la décomposition sociale en vue d’empêcher qu’elle ne se déchaîne à la solde de la barbarie…


Considérations critiques sur les élections présidentielles de 2007.

Nous allons vers des affrontements d’ampleur croissante et qui à terme prendront une dimension hautement historique. Ces élections, leur déroulement et les résultats dans le champ des institutions qu’elles produiront vont certainement accélérer la radicalisation de la lutte des classes dans notre pays. Ce qui aura, comme toujours, des répercussions mondiales, ne serait-ce que sur le plan de la conscience de classe. La conduite de la bourgeoisie est dictée par une stratégie planétaire de survie traduite en plan de guerre impitoyable contre les hommes et la nature. Cette posture fanatique s’exprime au travers des multiples situations toujours plus sinistres mais aussi grotesques que la classe dominante impose au devenir de l’humanité. Elle s’exécute par des offensives sociales et militaires d’une brutalité qui rappelle que les capitalistes n’ont jamais vraiment renié leur détour génocidaire (bolchevisme, fascisme, nazisme) mais aussi par la décomposition permanente des rapports sociaux, dont le dérisoire ferait plutôt pitié s’il ne se mêlait à des relents de barbarie toujours plus graves et inquiétants.
Dans ces circonstances, la France, pays en tête dans la construction séculaire du mouvement ouvrier, est l’objet d’un traitement de choc qui va aller en s’empirant. Toutes les méthodes les plus funestes, les plus fumeuses, sont appliquées. Le Pouvoir est contraint de jouer sur un panel de plus en plus élargi de recettes de manipulation pour morceler et anéantir l’adversaire prolétarien, à mesure que la propagande officielle est toujours plus mal accueillie par la population  : un ennemi de l’intérieur est créé, relayant la paranoïa instaurée mondialement. La question du passé colonial de la France est tournée contre l’unité des travailleurs. Des relais organisationnels diffusent le poison communautariste chez les plus pauvres en encourageant l’aliénation de l’expression de leur colère, dissuadant par ce fait leur potentiel révolutionnaire. La religion joue ici une fonction centrale. C’est un levier de contrôle extrêmement efficient. En face, dans le camp institutionnel, les appareils politiques se convertissent en organes de préparation à la dictature. Du minable PC, dont la fonction est celle de la voiture-balai de la répression grandissante, au revigoré FN impatient d’en découdre, les gestionnaires de cette société n’hésitent plus à proclamer la mise à mort des institutions démocratiques, laissant entendre qu’ils sont prêts à tout type d’affrontement. Le ridicule des discours aboyés sur le mode marketing trouve sa place de choix dans la gueule du général de l’Internationale Suicidaire en France : Nicolas Sarkozy. Sa compagne d’élevage, La catholique Ségolène Royale, est en soi le révélateur clownesque que la bourgeoisie française est en plein naufrage intellectuel. Cette dernière ne s’agrémente même plus d’un ersatz d’intelligence et de maîtrise d’une parole élaborée pour s’adresser aux masses. C’est parce qu’elle est désormais incapable de proposer un projet de société viable, ses possibilités de développer les forces productives se réduisant à un stade critique. Dans ce marasme déplorable, les enquêtes des instituts de sondages s’acharnent bien plus à nous persuader pour qui voter qu’à décrypter l’état d’une opinion devenue, et c’est bien logique, complètement imprévisible.
Le prochain quinquennat visera à balayer les derniers obstacles à la mise en place d’un programme de pillage des services publics, de désindustrialisation du pays, de baisse drastique du coût du travail, d’expérimentations en vue de la grande pénurie énergétique et alimentaire qui menacera bientôt, tout cela en prévenant militairement la moindre velléité contestatrice. Les réseaux industrialo-financiers (Bilderberg, ERT, TABD, AMCHAM, UNICE…) ne cessent de réclamer l’accélération de l’édification de la tyrannie du capital suicidaire. L’organisation carnavalesque quasi normale de ces élections ne saurait faire oublier que plus rien ne va de soi, ni dans ce pays ni dans le monde entier. Chacun sait que mille catastrophes sont en suspend et que dans l’état d’urgence permanent qui nous est imposé, les cauchemars défoncent périodiquement la porte de l’Histoire. Et ce ne sont pas les crétins putrides qui inondent l’espace médiatique en se traînant dans la bêtise la plus crasse ni les multiples facettes séductrices que revêt l’aliénation marchande qui pourront fermer les yeux, dorénavant bien ouverts, du prolétariat. Ce dernier s’est défait des illusions que le système avait su lui introjecter lors de l’ère glorieuse du système spectaculaire, des années 60 à 90. L’objectif aujourd’hui est de s’armer d’outils théoriques et organisationnels renouvelés pour se lancer une nouvelle fois à l’assaut de cette société. Voilà ce qui travaille en partie l’inconscient collectif, ce qui émerge petit à petit, et par sauts brusques comme en 2005 et 2006, à la conscience des exploités. La construction du « pour soi » est en cours. Aussi, pour les raisons que nous venons de décrire, l’élection présidentielle prévue dans quelques mois sera vécue par une partie importante des exploités comme une provocation supplémentaire. Il semble d’ailleurs que des derniers temps toute initiative d’ampleur prise par le Pouvoir soit devenue l’affront de trop. La guerre civile n’est peut-être pas si loin…


Extraits de l'interview réalisé par le groupe Idayam en août 2006.
Source : http://www.idayam.net/pages/doku.php?id=idayam_world:interviews:rapaces

 

 


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