Edito - Novembre 2009




Le 10 octobre 2009, RAPACES, Y.C. de Ni Patrie Ni Frontières, nos camarades de Militant, et de Sinistre Spectacle avons organisé une rencontre au sujet de la lutte classe en Corée et plus particulièrement du conflit intervenu cet été à l’usine de construction automobile Ssanyong à Pyeongtaek (70 km de Seoul). Sur proposition de Loren Goldner, nous avons accueilli 4 militants coréens du réseau « Democratic labor's solidarity ». Cette formation politique, qui se définit comme anti social-démocrate, anti avant-gardiste et ouverte à quiconque souhaite y collaborer, se compose principalement de travailleurs de la métallurgie et des Telecom, répartis en 6 groupes sur le territoire coréen. Conviés au congres de l’Entente Internationale des Travailleurs et des Peuples, structure internationale du POI, nos invités ont tenu à débattre au sujet des orientations du parti lambertiste, ce qui nous a permis de leur préciser nos propres positions. C’est ce que nous fîmes dans une première partie de soirée. Puis, les coréens procédèrent à un exposé sur la lutte à Ssanyong, lequel fut suivi d’échanges avec la salle, qui comptait une cinquantaine de participants. Enfin, H.S du réseau « Echanges et Mouvement » a brièvement abordé les récents conflits sociaux en France.

I) Sur la lutte contre l’Union Européenne que préconise le POI.

Les questions des camarades de « Democratic labor's solidarity » portaient principalement sur la priorité du combat contre l’Union Européenne dans le cadre de la lutte des classes, ce qui est l’axe stratégique du POI. Certains d’entre nous connaissent assez bien l’ex Parti des Travailleurs pour en avoir été membres ou compagnons de route.
Nous avons affirmé que la politique du POI se résumait à réclamer à l'aile gauche de la bourgeoisie qu'elle ait l'aimable gentillesse de renouer avec le Welfare State, tout en occultant, au passage, la problématique fondamentale de la destruction du capitalisme par la révolution prolétarienne (perspective dont le Cci fait mine de se souvenir, de temps en temps, dans sa revue théorique quasi confidentielle, "La Vérité"). En réalité, cette orientation est purement et simplement interclassiste, puisqu’elle préserve le seul ennemi de classe, la bourgeoisie (dans toutes ses expressions : nationales, continentales, intercontinentales) en médiatisant le combat de classe par la focalisation de la praxis contre un seul des multiples degrés de l’Etat capitaliste, l’Union européenne.
De plus, cette position est attentiste et épuise des fractions et individus du prolétariat combatifs qui, par convictions révolutionnaires et soucis d’organisation, rejoignent le POI. On repousse indéfiniment la préparation de la révolution prolétarienne sous prétexte que le mouvement révolutionnaire connaîtrait une longue phase de transition vers des conditions meilleures. Cette critique n’épargne nullement les autres formations d’extrême gauche (NPA, LO, groupuscules trotskystes, maoistes).
Par ailleurs, nous avons remarqué que la construction européenne a pris sa vitesse de croisière près de dix ans après la déflagration économique de 1968-71-73 et que c'est bien le capitalisme en crise qui est responsable de l'attaque, sans précédents depuis la Seconde Guerre Mondiale, contre la valeur de la force de travail en Occident et non pas une monture institutionnelle au travers d'un supra état européen.
Nous avons également réfuté le schéma simpliste qui réduit la construction européenne à l’édification d'un impérialisme européen en opposition à l'Oncle Sam. Pour preuve notamment, l’activisme de réseaux industriels et financiers joignant les intérêts des deux côtés de l'Atlantique Nord, comme le TABD, l'AMCHAM, participe du façonnement de l’Union européenne. Le retour récent de la France dans le commandement intégré de l’OTAN est, à cet égard, plus qu’éloquent.
On a rappelé que ceux qui, aujourd'hui, ciblent tactiquement leurs frappes sur l'Europe de Maastricht, d'Amsterdam, de Nice et de Lisbonne sont les mêmes qui, il y a 20 ans, juraient que la monnaie unique ne pourrait jamais advenir, que Bruxelles était le bastion de l'impérialisme américain. Lutte Ouvrière, la Ligue Communiste Révolutionnaire, le Parti des travailleurs, ont toujours fourni une perception déformée et déformante de la lutte des classes, amplifiant certaines réalités politiques au détriment d'éléments pourtant plus importants.

II) Exposé de nos camarades coréens sur la lutte à Ssanyong.

La grève de Ssanyong motors a duré 77 jours, du 22 mai au 6 août 2009 et elle a mobilisé 800 travailleurs sur les 4500 de l’usine. En faillite en 2005, Ssanyong, quatrième constructeur automobile sud-coréen, a été vendu par Hyundai à SAIC (Shangai Automotive Industry Corp), entreprise chinoise. A l’époque, les ouvriers de Ssanyong voyaient dans cette transaction une manoeuvre de SAIC visant à faire main basse sur la technologie de Ssanyong au détriment de l’investissement. En 2008, Ssanyong connut un effondrement de son chiffre d’affaire. Comme prévu, SAIC ainsi que la Banque européenne de développement refusèrent de la soutenir financièrement ce qui provoqua sa mise en redressement judiciaire en janvier 2009. Dans un premier temps SAIC proposa de licencier la moitié des effectifs de Ssanyong (2500 des 4500 employés de l’usine). Jusqu’à avril 2009, elle mit à la porte, sans coup férir, des centaines de travailleurs précaires (qui ne signent pas de contrat de travail avec l’employeur mais avec des agences d’intérim), catégorie qui constitue plus des deux tiers de la main d’œuvre coréenne. Le mois suivant, elle s’attaqua aux « salariés à vie » (en Corée, cette fraction du prolétariat est liée à son patron par un engagement à travailler à vie, moyennant des salaires plus élevés, une sécurité de l’emploi et d’autres avantages tels une couverture sociale, un logement…). En réponse, 800 travailleurs occupèrent l’atelier de l’usine, endroit hautement stratégique puisque renfermant des substances dangereuses parce que toxiques et inflammables. Une intervention policière devenait alors très délicate. Les négociations entre les syndicats et la direction ramenèrent le nombre de licenciés à 400, auquel il fallait rajouter 400 mises en disponibilité (un an de congé sans solde ou affectation sur des postes de commerciaux en attendant une réintégration dans l’emploi initial). Différents affrontements très dures opposèrent les grévistes aux forces de police et aux « jaunes » (salariés non grévistes, principalement constitués de cadres et flanqués de petits délinquants). Les assauts successifs des éléments étatico-patronaux furent repoussés par les occupants de l’usine qui s’étaient dotés d’une organisation de défense efficace, faisant preuve d’une forte ténacité et d’une grande ingéniosité tactique. Les forces spéciales ne réussirent à procéder au délogement des ateliers de peinture qu’avec une violence extrême. Un accord signé le 6 août 2009 mit fin au conflit. Nos camarades considèrent que cette lutte est un échec pour diverses raisons. D’abord parce que la répression continue et de manière individuelle. Plusieurs dizaines de travailleurs sont poursuivis pénalement. Les condamnations sont tombées et des peines d’emprisonnement ont frappé certains grévistes (jusqu’à 1 an et demi d’enfermement). Deuxièmement, parce qu’il n’a pas existé de solidarité telle que les salariés à vie fissent cause commune avec les précaires. La seconde catégorie n’a bénéficié d’aucun appui de la première. Troisièmement, parce que les syndicats ont gardé le monopole de la direction de la lutte, sans que les travailleurs n’aient leur mot à dire. La bureaucratisation des syndicats, jadis organisés par branches et usines, maintenant centralisés au niveau national engendre une fracture entre les intérêts des dirigeants et la base. Enfin parce que la conscience politique de la majorité des travailleurs a manqué, lesquels se sont mobilisés précipitamment et trop tard, c’est à dire quand leur situation immédiate était menacée.

III) Synthèse du débat avec l’assemblée.

Nos amis coréens nous ont confirmé que l’approvisionnement en vivres avait été préparé pour faire durer au maximum la grève et une fois le conflit entamé, supervisé par les syndicats.
Les occupants furent uniquement des employés de tous les ateliers de Ssanyong, au nombre de 800 au temps le plus fort de la lutte. Des renforts de l’extérieur (constitués d’étudiants, d’activistes d’extrême gauche) ont essayé à plusieurs reprises, mais vainement, de briser le dispositif d’encerclement policier. Des débrayages de solidarité de 3-4 heures ont eu lieu dans différentes usines de Hyundai.
Malgré des assemblées générales quotidiennes, la conduite de la grève revint uniquement aux syndicats. Les travailleurs ne se prononçaient que sur les propositions des syndicats. Des divergences sont nées après que le gouvernement eut fait des offres de règlement du conflit et que le syndicat s’est présenté comme seul interlocuteur.
Les ouvriers ont décidé d’occuper un secteur stratégique de l’usine et de préparer les heurts avec les forces de l’ordre parce qu’en Corée, ces formes de lutte sont une tradition.
Au début de la grève, n’importe qui pouvait entrer et sortir de l’usine. A partir du 2 août, les négociations ayant échoué, la police a rendu infranchissable le cordon de sécurité disposé autour de l’usine.
Les briseurs de grève n’ont pas seulement attaqué l’usine aux côtés des flics, ils ont aussi occupé le siège des syndicats et organisé des travailleurs hostiles aux grévistes.
L’entreprise reste menacée de fermeture définitive. Le moral des grévistes et de leurs familles est au plus bas depuis la fin du conflit. 6 travailleurs se sont donné la mort une fois la grève terminée.
La grève de Ssanyong est un tournant dans la lutte des classes en Corée. Sur la base de cet échec, le patronat et l’Etat vont se lancer à l’assaut des droits et des conditions de travail des « employés à vie ». Cette prochaine offensive va soit pulvériser les derniers acquis de la classe ouvrière coréenne, soit revigorer la combativité des travailleurs qui, alors, devra, sur la base des leçons tirées de la défaite, se manifester encore plus radicalement. Nos invités ont déploré le manque de conscience révolutionnaire des travailleurs coréens qui se traduit dans les faits par une affligeante faiblesse face aux coups que leur porte la bourgeoisie. A ce sujet, et à notre surprise, ils considèrent que le prolétariat français est bien plus pugnace que leurs compatriotes.
Enfin, les camarades coréens ont été étonnés de la présence de nombreux jeunes dans l’assistance, ce qui contraste avec ce qu’ils ont pu observer au congrès du POI. Ils se demandent comment la culture révolutionnaire peut se transmettre si la relève, dans ce type d’organisations, fait défaut.

La fatigue ne nous a permis que d’effleurer la question de la lutte des classes en France.
C’est pourquoi nous avons remis à nos camarades coréens un exposé synthétique à ce sujet.



Nous conseillons vivement la lecture des écrits de Loren Goldner suivants :

1) La classe ouvrière coréenne : de la grève de masse à la précarisation et au reflux, 1987-2007
http://www.mondialisme.org/spip.php?article1108
2) La défaite de la grève de Ssanyong motors
http://www.mondialisme.org/spip.php?article1382

Quelques vidéos :
http://berthoalain.wordpress.com/2009/08/06/affrontement-a-lusine-de-pyeongtaek-en-coree-aout-2009-les-videos/

 

 


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